
Récit de guerre et éthique. Singularité, communauté et temporalité Adieu à tout cela de Robert Graves et La main coupée de Blaise Cendrars
Author(s) -
Anne Mounic
Publication year - 2011
Publication title -
e-rea
Language(s) - French
Resource type - Journals
ISSN - 1638-1718
DOI - 10.4000/erea.1857
Subject(s) - humanities , philosophy , art
Après avoir évoqué brièvement quelques récits de la Grande Guerre selon certaines lignes de partage – idéalisme de la mort et choix de la vie, extase et goût de l’existence quotidienne, On et Nous, individualisme et singulier – de façon à mettre en évidence des pensées divergentes, je me propose de comparer deux récits majeurs, œuvre d’engagés volontaires dans le conflit, Adieu à tout cela (1929) de Robert Graves (1895-1985) et La main coupée (1946) de Blaise Cendrars (1887-1961). Outre des différences qui tiennent bien évidemment à la singularité de chacun, on peut repérer entre ces deux auteurs des attitudes et préoccupations semblables. Tous deux, blessés, et Cendrars, mutilé de sa main droite, celle de l’écrivain, ont éprouvé cette expérience de guerre comme épreuve initiatique menant à l’affirmation de leur singularité au sein du Nous de la communauté. Tous deux ont fait du souvenir de leurs camarades morts leur tâche poétique. Tous deux ont reconnu la réalité de ce que Graves, jusqu’à la fin de sa vie, nomma « meurtre » – et Cendras écrivit « J’ai tué ».L’expérience de guerre a suscité chez ces deux poètes un refus du dualisme idéaliste (« Il n’y a pas d’absolu, » écrit Cendrars. « Il n’y a donc pas de vérité, sinon la vie absurde qui remue ses oreilles d’âne. »), un rejet de l’exaltation de la virilité, marque de la période de l’entre-deux guerres, comme l’a montré G.L. Mosse, et une volonté de ne pas succomber, dans leurs écrits, à une esthétique de la guerre (ce que font, chacun à leur manière, pour ne citer qu’eux, Jünger et Céline). Graves avoue, à la fin de son ouvrage : « J’ai tenté plusieurs fois durant ces années de me débarrasser du poison des souvenirs de guerre en finissant mon roman, mais pour l’abandonner, pris de honte d’avoir déformé mon matériau avec une intrigue, et manquant pourtant d’assurance pour le transformer à nouveau en histoire non travestie, comme ici. » Cendrars, proclamant qu’il ne s’est pas engagé « pour tenir un porte-plume », écrit : « ‘Mourir pour la patrie est le sort le plus beau…’ n’est-ce pas ? Vous croyez-vous au théâtre, Monsieur ? Avez-vous perdu le sens de la réalité ? Vous n’êtes pas au Français, ici. Et savez-vous ce qui se cache sous cet alexandrin ? La guerre est une ignominie. Tout au plus ce spectacle peut-il satisfaire les yeux, le cœur d’un philosophe cynique et combler la logique du pessimisme le plus noir. La vie dangereuse peut convenir à un individu, certes, mais sur le plan social, cela mène directement à la tyrannie, surtout dans une république menée par un sénat de vieillards, une chambre de bavards, une académie de m’as-tu-vu, une école de généraux… »L’examen des récits de guerre révèle des pensées contrastées qui sont riches d’enseignement pour aujourd’hui – ce que je tenterai de montrer. After briefly recalling a few narratives written during or after the Great War and classifying them along two lines – either an idealistic view of death or the expression of the choice of life, ecstasy or a taste for everyday life, impersonal or personal standpoint, individualism and the individual voice – so as to highlight opposite views, I intend to compare two significant novels, written by volunteers, Goodbye to Al That / Adieu à tout cela? (1929) by Robert Graves (1895-1985) and La main coupée (1946) by Blaise Cendrars (1887-1961). Although both authors are different individuals, they have in common similar behaviours and thoughts. Both were wounded – Cendrars lost his right hand, the writer’s hand – and felt that their war experience was initiation to them and led them to their individual assertion among the others. Both of them considered it was their poetic duty to remember and sing their dead comrades. They both understood the ethical issue raised by the war, which Graves called “murder” until the very end of his life. Cendrars wrote an essay called “J’ai tué”.The war experience caused those two poets to refuse the idealistic dualism of the absolute; they rejected the post-war exaltation of manhood, as described by G.L. Mosse, and never indulged in an aesthetic view of war in the perspective of Ernst Jünger or Louis-Ferdinand Céline, to mention only those authors. Considering the war narratives along those lines induces an interesting reflection which may help us to understand even the present moment