
La science comme pratique d’intégration dans la société des princes. Les Grimaldi de Monaco et la curiosité savante (xviie–
Author(s) -
Thomas Fouilleron
Publication year - 2011
Publication title -
bulletin du centre de recherche du château de versailles
Language(s) - French
Resource type - Journals
ISSN - 1958-9271
DOI - 10.4000/crcv.11514
Subject(s) - humanities , art
Jusque-là seigneur de Monaco, Honoré II (1597-1662) prend, en 1612, le titre de prince. En 1641, il se place sous la protection du roi de France qui confirme, par le traité de Péronne, sa souveraineté. Parallèlement à son effort d’affirmation politique, il s’attache à intégrer la société européenne des princes en adoptant les pratiques culturelles de la distinction monarchique.Souverains à Monaco et grands aristocrates en France, les Grimaldi constituent, au xviie siècle, des cabinets de curiosités. Miroirs de souveraineté, substituts de regalia ou de mirabilia, ces objets rares et précieux publient l’éminence de la dynastie aux yeux des visiteurs de leurs palais, en particulier des voyageurs savants en route vers l’Italie. La qualité de ces derniers en fait des hôtes choyés par les princes. Même si certains, comme le mathématicien Bernouilli ou l’astronome Cassini, n’ont qu’une vision rapide et lointaine de la Principauté, d’autres, comme le géologue Saussure, le naturaliste Millin ou le médecin botaniste Fodéré, usent de leur regard de spécialistes pour décrire les spécificités du petit État dans leur discipline. Certains s’arrêtent, comme le père jésuite Laval, en 1719, pour faire des expérimentations devant le prince Antoine Ier (1661-1731), qui, dans sa bibliothèque, conserve des outils de géométrie. Amateur d’art et esprit éclairé, Jacques Ier (1689-1751) achète, quant à lui, des instruments du cabinet de Bonnier de La Mosson. La provenance prestigieuse de ces objets distingue et sanctionne sa curiosité. À la fin du xviiie siècle, la science devient « utile » et objet de gouvernement. Honoré III (1720-1795) commande des mémoires sur la culture du mûrier. Il fait venir de façon précoce des chevaux anglais pour améliorer la race normande et recourt à l’expertise d’un agronome d’outre-Manche pour mettre en valeur ses terres. À Monaco, il fait évaluer par le géologue Faujas de Saint-Fond un filon charbonneux qui, un temps, fait croire à une possible industrialisation de la Principauté. Homme de son temps et des usages de son ordre, le dernier prince d’Ancien Régime sacrifie à la frénésie mesmérienne et à la mode parisienne des expériences publiques. Même si l’histoire continue à être un goût dominant, les « sciences et arts » sont bien représentés dans les bibliothèques des Grimaldi au siècle des Lumières. Quelques ouvrages savants et techniques leur sont dédiés. Les jeunes princes reçoivent les rudiments d’une éducation scientifique, en particulier dans le domaine des mathématiques. Georges Cuvier est même, pendant la Révolution, le précepteur fortuit du futur prince Honoré V (1778-1841). L’exemple des souverains entraîne quelques sujets, gens de cour ou ecclésiastiques de la Principauté, à s’investir dans les sciences. Le milieu naturel local les amène souvent à s’intéresser à la botanique. Lamarck, en garnison à Monaco, y aurait d’ailleurs fait ses premières observations.Si, dans le domaine du connoissorship scientifique, les Grimaldi suivent les usages de leur temps, peut-être plus qu’ils ne les précèdent, ils instrumentalisent les sciences et les savants à des fins de reconnaissance culturelle et de légitimation politique. Laboratoire des grandes cours européennes, le palais de Monaco peut ainsi être vu comme un observatoire privilégié des rapports qu’entretiennent, aux xviie et xviiie siècles, les princes et les savants, et un marqueur de la propagation de la culture scientifique jusque dans les petites cours