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Les fissures discursives dans Le Premier homme
Author(s) -
GayCrosier Raymond
Publication year - 2003
Publication title -
orbis litterarum
Language(s) - French
Resource type - Journals
SCImago Journal Rank - 0.109
H-Index - 8
eISSN - 1600-0730
pISSN - 0105-7510
DOI - 10.1034/j.1600-0730.2003.00005.x
Subject(s) - humanities , silence , art , philosophy , aesthetics
Partant de la fonction productive que Michel Foucault associe au terme « discours », je me propose d’étudier le paradoxe de la proximité distante que permet l’écriture autobiographique à peine dissimulée. Chez Camus, celle‐ci reflète aussi son penchant pour l'anonymat (le « on‐dit » foucaldien). Les manques originels, les béances existentielles que relate Le Premier homme sont captés par des silences éloquents, des fissures discursives génératrices du texte. Ces fissures masquent, tout en les articulant, la pudeur naturelle avec laquelle l'auteur traite les questions personnelles qui ne cessent de le hanter. Je choisirai trois segments qui éclairent admirablement la manière dont le silence et l'absence génèrent paradoxalement plus de sens que tous les mots avec lesquels le fils‐écrivain, faute de mieux, se voit forcé de décrire son univers et de préparer sa confession jamais exécutée. Ces scènes reprennent et modulent le maître‐thème du roman : l'impossible quête d'identité. En fin de compte, celle‐ci se heurte non pas au mur impénétrable du silence mais à celui de l'inadéquation des mots, fussent‐ils nombreux. Au‐delà de son aspect fragmentaire accidentel, Le Premier homme confirme le statut solitaire de l’œuvre, « cette absence d'exigence qui ne permet jamais de la dire achevée ni inachevée », selon le constat de Maurice Blanchot. Dans cette optique, le fragment du Premier homme rejoint les travaux aussi inutiles qu'exemplaires de Sisyphe dont la monstruosité, que l'auteur assume, est attribuable à l'excès de lucidité.