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Comme l’affirme l’argumentaire de la journee d’etude sur « Ecritures rituelles », l’ecriture est generalement associee a l’oralite et etudiee a la lumiere de la coupure cognitive enoncee et theorisee par Jack Goody, theorie qui a donne naissance au domaine des « literacy studies ». L’approche choisie est de mettre face a face non pas « ecrit » et « oral » mais « ecriture » et « rituel ». Dans le judaisme le « faire » n’a jamais ete absent, ni de la religion, ni de l’historiographie : il n’est pas question ici de rehabiliter cette notion dans le judaisme. Par contre, ce qui me semble interessant est d’interroger les rapports entre « ecrit », « ecriture » et « rituel ». Je reprends ici la distinction faite par les concepteurs du programme, entre « ecrit » et « ecriture », ou cette derniere et entendue comme « le trace meme saisi dans son execution au cours d’une operation rituelle ». Autrement dit, la notion de « rituel » est entendue comme deja incluse dans celle d’« ecriture » et la tension fertile pour l’etude est celle entre le « contenu » et la « forme », ou entre « le sens de ce qui est ecrit » et les aspects materiels qui le conditionnent. Nous essayons ainsi de repondre a la question lancee dans le meme argumentaire : « les conditions pragmatiques dans lesquelles s’elabore l’autorite de l’ecriture ». Dans le judaisme cette autorite est double : celle de l'« ecrit » et, a partir d’un certain moment dans l’histoire, celle de l'« ecriture ». A partir du Second Temple, la Torah est sacree a la fois comme « parole » et comme « rouleau », a la fois de par son contenu et en tant qu’objet. L’histoire du judaisme sera constamment traversee par cette double sacralite simultanee. Selon la litterature de specialite, ce phenomene est unique dans le monde mediterraneen et moyen-oriental de la fin de l’Antiquite. A cette epoque, a peu pres simultanement, deux nouvelles cultures du livre voient le jour : celle du christianisme naissant et celle du judaisme en mutation. Je crois que le fait de souligner cette nouveaute nous aidera un jour a expliquer ce phenomene, meme si pour l’heure en ce qui concerne le judaisme il n’existe aucune hypothese. La rationalisation, a travers les textes rabbiniques, de cette double sacralite consiste en une mise en valeur hermeneutique des aspects materiels. Mais d’autre part, l’entreprise hermeneutique fait appel a des procedes de reification de l’ecriture, d’ou un ensemble de discussions sur la forme des lettres et la signification de cette forme. Nous assistons ainsi a un double phenomene : celui de la « textualisation » de la realite et celui de « reification » du texte. Cet aspect est observable a plusieurs niveaux et se concretise sur plusieurs plans. Je vais mentionner trois de ces niveaux de ce que je considere etre une reification du texte : le premier est le texte de la Torah comme objet sacre ; le deuxieme est la forme d’exegese biblique qui est le midrach, technique qui fait exploser l’unite de sens habituelle qui est la phrase ou le mot, pour en utiliser les parties ainsi obtenues comme une boite a outils (cf. gematria, notarikon, la forme des lettres) ; le troisieme niveau concerne la lettre meme (cf. les ornements afferents a certaines lettres). Cette categorisation n’est probablement ni exhaustive, ni suffisamment pertinente mais mon propos n’est pas de la developper ici ; je voulais simplement situer les exemples que je vais analyser par la suite dans un contexte plus large de l’imaginaire religieux juif.

The Letter as Object. The Written Word between Reification and Hermeneutics in Rabbinic Judaism1