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L’article de Jean-Marc Barbier et Frederic Goulet1 montre excellemment comment l’ecologisation de l’agriculture implique un changement de discours (logos) sur les rapports de l’homme a la nature. C’est a partir d’une analyse des textes fondateurs de l’agronomie des pratiques, telle qu’elle a emerge en France, qu’ils abordent cette question. Pendant la periode de modernisation de l’agriculture, quand la preoccupation dominante etait l’augmentation de la production a l’hectare, l’usage fait des conceptsd’itineraire technique, de systemede culture et de modele d’action de l’agriculteur a consiste a identifier les facteurs et conditions limitant les rendements. Pour cette agronomie des pratiques, l’action de l’agriculteur sur la nature doit faire sauter ces limites ; puis, lorsqu’a partir des annees 1980, on a pris conscience des phenomenes de pollution, elle doit, en plus, tenir compte de « contraintes environnementales ».Mais le paradigme ne change pas : l’homme agit sur la nature en pilotant de facon serree les processus naturels. Dans une vision ecologisee de l’agriculture, une place importante est faite aux actions positives des objets de nature, ignorees, voire detruites, par les pratiques agricoles conventionnelles. Du coup l’agriculteur ne maitrise pas tout. Il doit laisser la bride sur le cou aux processus naturels, se retirer quelque peu de l’action et laisser faire : un comportement radicalement nouveau. Les concepts elabores par l’agronomie des pratiques sont-ils pour autant hors circuit ? Finalement non, disent nos auteurs. L’itineraire technique exprime alors la coherence entre les actes techniques et les actions de la nature ; le concept de systemede culture permet de suivre, sur le long terme, les changements d’etat d’equilibre des agroecosystemes ; quant a l’enchainement des decisions de culture d’agriculteurs pratiquant des modes de culture alternatifs, il peut toujours s’ecriredansdesmodelesd’actionquiprennent en compte les actions positives des processus naturels. Par les incertitudes qu’elles entrainent, ces actionsde lanaturemodifient le rapport au temps ; par les observationsqu’elles exigent, le rapport au travail :moins d’action humaine, plus de collecte d’information et plus de reflexion. On peut donc conserver les concepts, mais il faut reconsiderer l’usagequienest fait enmobilisant,dans une nouvelle demarche interdisciplinaire, l’agronomie, l’ecologie bien sur et les sciences sociales, tout particulierement la sociologie de l’innovation et la sociologie du travail. Voila le nouveau champ de recherche qu’ouvre l’article de Jean-Marc Barbier et Frederic Goulet. Pour autant, nos auteurs ne considerent les concepts de l’agronomie des pratiques qu’a travers la conception du rapport a la nature qu’ils presupposent. Or, une action implique de la part de celui qui la met en œuvre a la fois une vision dumonde sur lequel il agit (logos) et une vision des possibilites qu’il a d’en faire usage (nomos). Les concepts de l’agronomie des pratiques relevent aussi du nomos. C’est ainsi que des les XVIIIe et XIXe siecles les agronomes ont defini le systeme de culture comme combinant les exigences d’une rotation de cultures et d’un assolement. La rotation traduit l’idee qu’une certaine alternance des cultures permet d’optimiser les processus naturels – voila pour la vision de la nature, logos. L’assolement quant a lui suggere qu’une certaine proportion de cultures permet d’etaler, au long de l’annee, l’ensemble des travaux a faire – voila pour les possibilites de faire, nomos. Vision des processus naturels d’un cote, de principes de gestion de l’autre. Ainsi, l’articulation entre logos et nomos est bien constitutive du systeme de culture, comme d’ailleurs des autres concepts de l’agronomie des pratiques presentes dans l’article. Depuis le debut des annees 1960, avec lamotorisation, ledeveloppementdesengraisetdespesticideschimiques, la selection de varietes productives, et avec le soutien des politiques agricoles, la modernisation de l’agriculture a inscrit l’agriculteur dans un reseau sociotechnique qui Auteur correspondant : papy.francois@numericable.fr 1 Voir dans ce numero dans le dossier « Ecologisation des politiques publiques et de pratiques agricoles », l’article de J.-M. Barbier et F.Goulet « Moinsde techniques, plusdenature : pour uneheuristiquedespratiquesd’ecologisationde l’agriculture ».

L'agronomie entre logos et nomos