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Je voudrais d'abord comme introduction aux considérations qui suivront sur l'évaluation, dire quelques mots sur la mesure et sur l'estimation qui sont des opérations distinctes mais parentes de celles qui vont nous retenir dans tout le reste de l'exposé. L'idée de mesure est une idée scientifique pour répondre à des besoins sociaux et à des exigences économiques. On sait par exemple que rune des sources de la géométrie a été, sur les bords du Nil, la nécessité de retracer chaque année les limites des parcelles cultivées, après leur effacement par les inondations et le dépôt de limons. Cette même géométrie a progressé dans la Grèce antique pour résoudre des problèmes relevant de l'agriculture, de l'urbanisme ou de l'architecture. La mesure ne s'intéresse pas seulement bien entendu à des surfaces ou des volumes. Les dénombrements, par exemple celui des animaux d'un troupeau, ont posé des problèmes difficiles ; la projection de l'ensemble de ceux-ci sur un ensemble de petits coquillages identiques, qui résulte d'un effort conceptuel remarquable, a conduit à de premières solutions. Le caractère répétitif et approximativement identique d'unités biologiques, que ce soit des coquillages de mollusque, des grains de céréales ou des entre nœuds de lianes, a retenu l'attention de nos ancêtres et a été exploité d'innombrables manières, aussi bien artistiques que scientifiques, et en particulier dans la mesure. Quant aux poids, chaque fois que les volumes ne suffisaient pas ou ne pouvaient servir d'intermédiaires, il a fallu trouver pour eux, dès que les échanges l'ont exigé, des procédures, des instruments, des unités, qui furent au début très proches des objets et des processus biologiques, et souvent de même ordre de grandeur qu'eux. Certains des problèmes que nous venons d'évoquer restent complètement d'actualité. Le berger provençal qui mélange quelques moutons noirs à son troupeau de moutons blancs, pour surveiller par échantillonnage l'intégrité de son troupeau dans un terrain mouvementé et à visibilité directe mauvaise, suit une pratique dont la justification mathématique n'est pas si banale que cela. On sent bien que nous sommes en train de glisser de la mesure à l'évaluation. Mais avant d'y arriver je crois que c'est le moment de faire encore une distinction de terme et de concept en introduisant ceux d'estimation : il s'agit d'une approximation de la mesure ou du dénombrement réel, mais dans quelles circonstances ? Prenons deux exemples. J'aimerais connaître le nombre moyen de vertèbres des sardines de la Méditerranée parce que je sais que le nombre de vertèbres varie d'une sardine à l'autre et que je pourrais peut-être en faire un indicateur d'environnement. Mais il y a beaucoup trop de sardines dans cette mer pour envisager une étude exhaustive. Je vais donc me limiter au prélèvement d'un ou de quelques échantillons que je vais supposer représentatif(s) de la population d'où ils sont tirés et à partir desquels, au prix de quelques hypothèses, je vais calculer la meilleure estimation possible, et si je veux faire un travail exploratoire, alors je construirais un véritable plan d'échantillonnage. On comprend bien qu'il est facile de faire des estimations trompeuses, démesurées, puisque tout dépendra de la qualité de l'échantillonnage. Deuxième exemple : si je veux estimer le nombre de larves de moustiques dans un trou d'eau, ce qui fut à la base des opérations de démoustication du Languedoc Oe vous rappelle que ce fut rune des plus grandes opérations concernant l'environnement en France), je ne peux pas décider d'une procédure d'échantillonnage sans avoir au préalable appris quelque chose sur une question biologique essentielle : il se trouve que les larves sont réparties à la périphérie du trou et que si j'avais prélevé au centre ou sur les bords j'aurais été conduit à des résultats complément contradictoires. Je retiendrai qu'il faut du temps et parfois des recherches préliminaires pour arriver à une estimation correcte ; je retiens en même temps une sorte de corollaire : du fait des allers et retours que vous devinez, on va donc obtenir successivement des estimations de plus en plus précises. Ces distinctions étant faites, venons en à l'évaluation. En fait l'idée d'évaluer quelque chose ou quelqu'un n'est pas récente ; elle est probablement aussi ancienne que celle de la mesure, mais est restée longtemps moins bien définie, moins consciente, peut-être de statut mineur. Car la notion de mesure, au sens habituel, comporte fondamentalement une exigence d'exactitude, même si celle-ci est concrètement douteuse et parfois non fondée. La notion d'évaluation contient au contraire, dès le départ, celle d'une approximation acceptée, comme en attestent toutes les définitions de dictionnaires ou d'encyclopédies consultés 1.

L'évaluation scientifique d'objets de recherche complexes relève-t-elle d'une situation épistémologique nouvelle?